Interview avec le coordonnateur sud du projet PFS
Le Projet de Formation Sud (PFS), est une initiative portée par des universitaires du Nord et du Sud des domaines du journalisme, de la communication et des conflits. Une formation qui ne se contente pas seulement de répondre aux besoins immédiats des journalistes, mais aspire également à une transformation à long terme des pratiques médiatiques dans des zones sensibles nous confie le chercheur et coordonnateur du projet, Dr Lassané YAMEOGO du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST). Dans cet interview, il revient sur les origines, les objectifs, les impacts du projet ainsi que les opportunités qu’il offre aux étudiants et aux professionnels de la communication et de l’information dans un contexte sous régional marqué par des défis sécuritaires et humanitaires complexes.
Dans quel contexte avez-vous initié le Projet de Formation Sud ?
Le Projet de Formation Sud (PFS) a été initié en réponse aux difficultés qu’éprouvaient des journalistes et/ou animateurs de radios communautaires dans le traitement de l’information sécuritaire. Il fait suite à des recherches menées en 2018 et en 2019 au Burkina Faso. Lesquelles s’appuyant sur des témoignages, le vécu et le ressenti des acteurs interviewés sur le terrain ont recommandé le renforcement des compétences des professionnels des médias. Le PFS est ainsi la résultante d’une demande (de formation) exprimée par “le bas”.
En 2019, notre intérêt s’est porté sur les médias et les conflits intercommunautaires avec une attention particulière sur trois conflits spécifiques. L’analyse de la couverture médiatique et des perceptions des acteurs a également souligné des lacunes professionnelles dans la relation entre les médias et les conflits. Face à ces constats, l’une des recommandations principales était de former les journalistes sur la gestion des conflits et du terrorisme. Lors de la publication de ces résultats, j’ai découvert un appel à projets de l’Académie de Recherches et d’Enseignement Supérieur de Belgique (ARES). J’ai immédiatement contacté ma directrice de thèse, Marie Soleil Frère, pour discuter de la possibilité de répondre à cet appel, sachant qu’elle était déjà informée des défis identifiés sur le terrain. Elle a trouvé l’idée excellente et en accord avec les résultats de nos études. Ensemble, nous avons rédigé et soumis le projet à l’ARES, qui l’a présélectionné.
Un atelier a ensuite été organisé à Ouagadougou, réunissant des experts, des médias et des spécialistes pour peaufiner le projet. Après trois jours de travail intensif, le projet a été définitivement sélectionné et a reçu un financement pour sa mise en œuvre. Le démarrage était prévu pour 2020, mais le décès de Marie Soleil Frère a nécessité la désignation d’un nouveau coordinateur, Emmanuel Klimis de l’Université catholique de Louvain, préalablement préparé par Marie Soleil pour cette éventualité.
Ainsi, l’idée du projet essentiellement portée par les besoins exprimés par les acteurs médiatiques eux-mêmes a trouvé son origine dans une opportunité concrète et se concrétise actuellement dans la mise en œuvre.
Pouvez-vous nous dire en quelques mots en quoi consiste le Projet de Formation Sud Certificat en journalisme, communication et conflits ?
Il s’agit d’un projet à deux volets. Le premier volet est axé sur la formation continue, pour lequel nous avons mis en place un certificat en journalisme, communication et conflits. Ce certificat est dispensé à l’Université Thomas Sankara, plus précisément à l’IUFIC. Les cours sont assurés par des enseignants tant du Nord que du Sud, incluant à la fois des universitaires et des professionnels, et se déroulent en soirée de 18 h à 20 h.
Le second volet concerne la recherche fondamentale. Dans ce cadre, nous avons recruté des doctorants travaillant sur des sujets tels que le journalisme et les conflits, ainsi que la communication publique et les conflits. Ces deux thématiques ont été choisies dans le but d’acquérir des compétences spécifiques qui pourraient favoriser la continuité du projet que ce soit par l’enseignement ou la recherche. Parallèlement, nous avons constitué un groupe de chercheurs internationaux centrés sur les problématiques de conflits. Ce groupe inclut des historiens, des sociologues, des anthropologues ainsi que des spécialistes en communication et en médias, tous engagés dans l’analyse des réponses des citoyens face aux conflits. Nous avons régulièrement produit des publications scientifiques sur ces thèmes avec à ce jour quatre articles publiés et d’autres en préparation. Un ouvrage est également en cours de rédaction et devrait être publié dans les prochaines années avant la clôture du projet.
Parlez-nous des modules abordés dans le programme de formation certificat en journalisme, communication et conflits
Le programme de formation certifiée en journalisme, communication et conflits comprend cinq modules essentiels. On a:
Analyse des conflits sécuritaires : ce module global inclut des matières tels que le droit international humanitaire, la gouvernance sécuritaire, les acteurs des conflits ainsi que les enjeux et intérêts, les mécanismes de prévention des conflits géopolitiques et la liberté d’expression en période de conflits.
Journalisme et conflits : Ce module couvre des aspects tels que le journalisme sensible aux conflits, la sécurité des journalistes et des sources d’information dans les zones de conflit, les différents types de violence et la couverture des urgences humanitaires et des catastrophes naturelles.
Gestion de l’information et de la communication en situation de crise : Ce module aborde le journalisme et la communication : les enjeux et les missions, la gestion de l’information et de la communication en situation de crise, la couverture médiatique du terrorisme et les stratégies de communication de crise.
Médias sociaux et conflits : Ce module examine les enjeux de la digitalisation, l’interaction entre les réseaux sociaux et les médias traditionnels, la gestion des réseaux sociaux dans le contexte de crise et les réseaux sociaux et la data d’influence.
Formation des formateurs : Un module destiné à préparer les participants à transmettre leurs connaissances et compétences dans leurs propres contextes professionnels ou académiques.
Chaque module est conçu pour offrir une compréhension approfondie des divers aspects du journalisme et de la communication en contexte de conflit en équipant les participants d’outils nécessaires pour naviguer et reporter efficacement dans des environnements complexes et souvent dangereux.
Quels types de participants sont ciblés par le programme de formation ?
Le programme de formation cible plusieurs types de participants: nous avons les journalistes professionnels travaillant dans la radio, la télévision, la presse en ligne et les blogueurs. Nous avons aussi les communicants et relationnistes des institutions en charge des questions de sécurité, tels que l’armée, le ministère en charge de la Défense, la Police, la Gendarmerie et l’Administration territoriale, les acteurs dans le domaine des droits humains, les acteurs humanitaires, les activistes et toute personne ayant un intérêt marqué pour les questions liées aux conflits, aux crises humanitaires et aux catastrophes naturelles.
Quels sont les avantages de ce certificat ?
Ce certificat est spécialisé et vise à rompre avec la tradition éducative de former des généralistes, une critique fréquemment adressée à nos systèmes éducatifs. En particulier dans le journalisme, où il manque parfois des experts dans certaines disciplines spécifiques. Face à une crise majeure, nous avons besoin de spécialistes tant en communication de crise qu’en journalisme. Les bénéficiaires de ce certificat acquièrent un savoir spécialisé grâce à l’intervention d’experts internationaux. Ils sont ainsi mieux préparés à saisir des opportunités professionnelles plus approfondies. Certains bénéficiaires travaillent déjà pour des ONG, d’autres sont consultants et bénéficient de nombreuses missions sur la thématique des ‘médias et conflits’. Grâce à ce certificat, certains ont même obtenu des bourses pour poursuivre des études supérieures, bien au-delà de ce qu’ils avaient accompli à Ouagadougou.
L’approche du projet est holistique : nous souhaitons que les diplômés deviennent à leur tour des formateurs. Dans les années à venir, ils seront déployés sur le terrain pour former d’autres journalistes qui n’ont pas eu l’opportunité de participer à ce programme. De plus, un objectif crucial du projet est d’atteindre les animateurs de radios communautaires qui, bien qu’ils ne parlent pas couramment français jouent un rôle essentiel dans l’éducation et la sensibilisation de leurs communautés.
Concrètement comment le projet de formation contribue-t-il à la résolution des conflits dans la région du sud ?
Comme vous le savez, de nombreux chercheurs ont démontré que les conflits sont souvent exacerbés par une communication et une couverture médiatique défaillante. Un exemple frappant, souvent cité dans les écoles de journalisme à travers le monde, est le génocide au Rwanda, où les médias ont joué un rôle actif dans l’incitation à la violence. Cela montre clairement que si les journalistes ne sont pas correctement formés, ils peuvent involontairement devenir des instigateurs de haine et de conflits. Nous croyons fermement que des journalistes bien formés sont moins susceptibles de produire des contenus biaisés ou incitatifs. Une formation solide en communication de crise leur permet de préparer et d’anticiper les événements en offrant des schémas qui aident les citoyens à comprendre et à suivre l’évolution d’une crise. Cela à son tour, éclaire les décideurs qui peuvent alors approfondir leur compréhension des crises et élaborer des solutions appropriées. En pratiquant un journalisme professionnel, les journalistes interrogent les sources d’information, analysent les origines des conflits, leurs implications et les acteurs impliqués. Cela permet une meilleure compréhension globale des situations conflictuelles, facilitant ainsi l’adoption de mesures adéquates pour les résoudre. En somme, nous pensons que les journalistes et les communicants bien formés dans le cadre de ce projet, facilitent la diffusion d’une information saine, équitable et transparente. Par conséquent, ils contribuent directement et indirectement à la résolution des conflits en permettant aux décideurs de mieux comprendre les enjeux et de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin.
Quelles seront les perspectives à la fin du projet ?
Le projet prendra fin en 2026 et le certificat prendra fin en 2025. Nous recruterons notre dernière promotion en 2025, et l’appel à candidature sera lancé à la fin de 2024. Actuellement, nous formons l’avant dernière promotion (la troisième). La question essentielle est de savoir si nous devons continuer à former des journalistes, des communicateurs et des acteurs humanitaires, même sans savoir si les conflits cesseront dans un ou cinq ans. Il est crucial de poursuivre l’effort. Immédiatement après la clôture du projet, nous envisageons de lancer un master en médias, communication et conflits pour permettre à ceux qui ont bénéficié du certificat et à d’autres de continuer leur formation. En réalité, l’apprentissage ne s’arrête jamais et il est essentiel de maintenir la dynamique de formation notamment dans un contexte qui reste volatile. Une perspective clé est l’extension géographique du projet pour inclure non seulement le Burkina Faso mais aussi le Mali et le Niger répondant ainsi à un besoin de formation cohérente face à des enjeux sécuritaires communs.
Concernant les participants, avez-vous des inscrits internationaux ?
Dans la cohorte actuelle, qui se termine ce mois-ci, la majorité des participants sont Burkinabè, mais nous avons également un participant Nigérien. Dans les promotions précédentes, nous avons eu des participants Tchadiens et Maliens. Nous encourageons les institutions à promouvoir des candidatures, par exemple via le ministère de la communication du Niger pour que des journalistes et des communicateurs puissent participer au nom de leur institution. Cette année, nous avons eu le plaisir de recevoir des candidatures de la RTB et des Editions SIDWAYA. Cela montre l’importance de la formation institutionnelle pour renforcer les compétences professionnelles sur le terrain.
Comment le projet de formation est-il financé ou soutenu ?
Le projet est entièrement financé par l’Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur (ARES) du Royaume de Belgique, avec un budget de 500 000 €, soit environ 328 millions de FCFA, pour la période 2021-2025. Nous sommes extrêmement reconnaissants envers notre bailleur de fonds pour son soutien. Cela témoigne de la pertinence et de l’importance du projet dans le contexte sécuritaire actuel.
Quel appel lancez-vous à ceux qui souhaitent participer au programme ?
La prochaine session débutera en 2025 et nous ouvrirons l’appel à candidature au dernier trimestre de 2024. Nous avons volontairement maintenu un niveau d’accès au programme accessible, n’exigeant pas nécessairement un diplôme universitaire avancé juste avec le Baccalauréat. Ainsi, toute personne détenant au minimum un Baccalauréat est éligible. Nous invitons tous les intéressés à préparer leur dossier de candidature dès maintenant afin de pouvoir profiter de cette dernière offre. Il s’agit de la dernière cohorte avant que le programme ne se transforme en master avec des exigences académiques plus élevées. C’est une occasion unique pour ceux qui remplissent les conditions actuelles de se joindre à nous.
Interview réalisée par A. D.